Le sens au travail : entre sincérité et illusion

août 2025

Depuis quelques années, la notion de “sens au travail” s’impose comme un sujet central. Les salariés ne demandent plus seulement un salaire et des conditions acceptables, mais aussi de comprendre pourquoi et pour quoi ils travaillent. Une étude McKinsey (2023) le confirme :

  • 70 % des collaborateurs considèrent que leur travail définit leur raison d’être,
  • mais moins d’un tiers estiment que leur entreprise leur apporte réellement ce sens.

Autrement dit : l’écart entre attentes et réalité est profond.

Face à cela, beaucoup d’organisations répondent avec des slogans inspirants, des chartes de valeurs et des “raisons d’être” affichées en grand sur les murs. Mais est-ce suffisant ?

Pas toujours!

Comme l’ont montré les travaux de Gordon Pennycook sur le “bullshit pseudo-profond”, des phrases qui sonnent bien mais ne disent rien de concret risquent surtout de décrédibiliser le management.

Alors, comment trouver une voie qui évite à la fois le dogmatisme et le vide ? Comment parler de sens de façon sincère, utile et pragmatique pour les équipes ?

Le sens au travail : une attente légitime et stratégique

Pendant longtemps, le sens au travail a été considéré comme une affaire secondaire, relevant de la philosophie plus que de la gestion. Les données récentes montrent au contraire que c’est un levier stratégique.

  • Les collaborateurs qui trouvent du sens à leur travail sont 2,5 fois plus engagés selon McKinsey.
  • Ils sont également plus enclins à rester dans l’entreprise, réduisant le turnover et les coûts associés.
  • Le sens favorise la résilience face aux crises : quand on sait pourquoi on agit, on résiste mieux aux difficultés.

Pour un manager, le sens n’est donc pas une question abstraite : c’est un facteur de motivation, de fidélisation et de performance. Mais il ne peut pas être décrété par une affiche ou un discours : il doit se construire au quotidien.

 

Le sensemaking selon Karl Weick : construire du sens dans l’action

Karl Weick, chercheur majeur en sciences des organisations, n’a pas travaillé sur le “sens” au sens de valeurs ou de raison d’être. Son apport porte sur le sensemaking, c’est-à-dire le processus par lequel les individus interprètent une situation, construisent une compréhension commune et ajustent leurs actions.

Quelques idées clés :

  • Le sens est construit, pas donné. Les collaborateurs n’absorbent pas passivement le discours de la direction. Ils interprètent, comparent, discutent, et reconstruisent leur propre vision.
  • Le sens est collectif. Il se crée dans les interactions, les conversations, les expériences partagées.
  • Le sens émerge de l’action. C’est en agissant, en observant les résultats, en partageant leurs impressions que les salariés relient leur travail à un but plus large.

Le sensemaking est particulièrement mobilisé quand il y a incertitude, changement ou ambiguïté. Plutôt que d’absorber passivement un discours, les collaborateurs “fabriquent du sens” à partir de ce qu’ils vivent, de leurs expériences passées et de leurs interactions.

Exemple : une entreprise affiche “Nous nous engageons pour la durabilité”. Cette phrase, en soi, reste abstraite. C’est le sensemaking qui permet aux équipes d’y donner corps :

  • pour un acheteur : des critères RSE sont intégrées dans ses appels d’offres,
  • pour un opérateur : des actions sont menées pour limiter les rebuts ou réduire les emballages plastiques,

Ainsi, le rôle du manager n’est pas seulement de diffuser une orientation générale, mais de créer les conditions où chacun peut relier cette orientation à son travail concret, et partager cette compréhension avec les autres.

Le piège du pseudo-sens : Gordon Pennycook et le bullshit pseudo-profond

Le psychologue Gordon Pennycook a étudié un phénomène qu’il appelle le bullshit pseudo-profond : des phrases qui donnent l’impression de profondeur mais qui, en réalité, sont vides de contenu. Exemple classique :

“Réinventer ensemble l’avenir durable de notre écosystème humain.”

Cela sonne bien, mais qu’est-ce que cela signifie concrètement pour un technicien de maintenance, une comptable ou une cheffe d’équipe ? Pas grand-chose.

Dans le management, ce type de discours est fréquent : on affiche une “raison d’être” très générale, mais on ne dit pas comment cela se traduit au quotidien. Résultat :

  • Les collaborateurs finissent par développer du cynisme (“encore des grandes phrases sans suite”).
  • La crédibilité de la direction s’érode.
  • Les initiatives sincères sont perçues comme du marketing interne.

Le risque est donc réel : vouloir bien faire mais, en utilisant des formulations trop vagues, produire l’effet inverse.

Faire vivre le sens au travail

Comment traduire le sens au travail sans tomber dans l’incantation descendante? Quelques pistes :

  • Parler vrai : Reconnaître les contraintes (budgétaires, techniques, organisationnelles) ne diminue pas l’ambition, mais contribue au sens en montrant que la trajectoire est réaliste et cohérente. Cela évite le décalage entre un discours grandiose et une réalité qui n’avance pas.

  • Relier au concret : traduire chaque orientation en implications tangibles.
    Exemple : au lieu de dire “Nous nous engageons pour la durabilité”, préciser : “À partir de septembre, nous réduisons de 20 % les emballages plastiques, ce qui demande une nouvelle organisation logistique.”

  • Veiller à la cohérence : un discours sur la confiance ou l’autonomie n’a de valeur que si les pratiques managériales et les décisions sont alignées. Si une entreprise affiche la “confiance” comme valeur, mais multiplie les contrôles tatillons, le décalage sera vite perçu. Les managers de proximité ont un rôle essentiel pour aligner les pratiques réelles avec les discours.

  • Donner la parole aux équipes : impliquer les collaborateurs dans la définition de ce qui compte pour eux.

  • Valoriser les histoires concrètes : au-delà des indicateurs financiers, partager régulièrement des exemples vécus (un client satisfait, un accident évité, une innovation simplifiant le quotidien…).

Ces exemples  ne règlent pas tout, mais elles transforment le “grand mot” de sens en pratiques palpables et crédibles.

Donner du sens, c’est permettre à chacun de relier sa pierre à la cathédrale

Le danger n’est pas tant l’absence de sens que l’illusion d’un sens unique, parfait et définitif. Le véritable défi du management est d’accepter que le sens soit toujours en mouvement, parfois conflictuel, souvent partiel — et malgré tout, assez solide pour donner envie de continuer.

En définitive, donner du sens, c’est permettre à chacun de relier sa pierre à la cathédrale.

C’est précisément là que l’accompagnement extérieur peut être utile. Organiser des ateliers collectifs, mobiliser l’intelligence des équipes, faciliter la confrontation constructive des visions : autant de leviers pour transformer une orientation générale (comme la durabilité, la sécurité ou la qualité) en pratiques concrètes et partagées. Mon rôle est d’aider les entreprises à naviguer dans ces paradoxes, à faire émerger une vision incarnée et à maintenir la cohérence entre discours et réalité.

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